25 octobre 2006

Fragment VIII (suite 11)

Sans frémissement et sans terme


« De plus, sans mouvement, dans les bornes de liens énormes, il est sans commencement, sans fin, puisque genèse et destruction tout au loin ont été repoussées et que la conviction vraie les a écartées. » (vv.26-28)

Après inengendré et impérissable, unique et entier en sa membrure, la Déesse annonce au cinquième vers : « sans frémissement et sans terme ». Un peu plus loin les mortels supposent des choses susceptibles de « changer de place et varier d’éclatante couleur » (v.41). Nous l’avions déjà noté « sans frémissement » peut donc valoir non seulement pour sans mouvement mais aussi sans altération, autrement dit sans changement dans un lieu et une composition. C’est ce que nous allons vérifier dans ces prochains vers et dans les suivants (vv.29-33).

« Sans commencement, sans fin » est associé à la fois à l’absence de mouvement et à l’absence d’une genèse et d’une destruction. Autrement dit l’être est sans limite à la fois dans le temps et l’espace. Cela ne veut pas dire que sa durée est infinie, ou qu’il est éternel, ni que son étendue est illimitée. Nous avions en effet constaté que son « maintenant » concernait une intemporalité devant laquelle se résorbe la dimension temporelle. Il en va sans doute de même pour la dimension spatiale. Par parallélisme à (a) on pourrait poser (b) un « ici » non spatial ou « inspatial » (pour créer un néologisme calqué sur intemporel).
a) Il est « maintenant » donc pas dans une durée.
b) Il est « ici » donc pas dans une étendue.
c) Il est « ici » et « maintenant » donc pas dans un mouvement.
L’être n’est donc pas dans un espace-temps mais d’une certaine manière celui-ci est en lui. La porte pour les mortels est dans un «ici » et « maintenant » puisque pour eux le passé et le futur n’existent pas ni ce qui est ailleurs. Il y a seulement la pensée qui les pense dans un « ici » et « maintenant » (par la mémoire, l'imagination ou les sens). Et la pensée n'est pas en dehors de l'être.

L’argument devient alors compréhensible : l’absence de naissance et de mort révèle une absence de limite dans la dimension spatio-temporelle (un ici et maintenant, intemporel et inspatial) et donc une absence de limite dans l’absence de mouvement.

Cette absence de limite dans l’absence de mouvement ne signifie pas qu’il soit condamné à l’immobilité. Au contraire son intemporalité le libère de la durée et son inspatialité (autre néologisme) de l’espace, il n’a pas besoin d’un mouvement ou d’un changement de quelque nature que ce soit pour être.

Quelles sont ces « bornes de liens énormes » dans lesquelles il se trouve ? Probablement une métaphore de la double décision : « esti » (est) ou « ouk esti » (n’est pas), puis « esti ». Etant simple et unique il ne reste pas de place pour un mouvement aussi infime soit-il. Ce que la Déesse enchaîne ainsi ce n'est donc pas lui mais la conception que l'on doit s'en faire (avant de faire taire tout concept).

Toutes les paroles prononcées ne peuvent concerner que notre semblant de relation à l’être et non l’être lui-même qui est sans relation.

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