11 octobre 2006

Fragment VII

Le non parricide de l’Etranger d’Elée


Fragment VII :
« Jamais, en effet, cet énoncé ne sera dompté : des non-êtres sont (einai mè eonta). Mais toi détournes ta pensée de cette voie de recherche.
"Qu'une habitude, née d'expériences multiples, ne t'entraîne pas en cette voie : mouvoir un oeil sans but, une oreille et une langue retentissante d'écho; mais par la raison, décide de la réfutation que j'ai énoncée, réfutation provoquant maintes controverses".

Le dialogue du Sophiste de Platon comporte au nombre de trois les plus anciennes citations du Poème qui nous sont parvenus. Ce fragment en est un. L’Etranger d’Elée (personnage principal du dialogue) commence et termine son discours en disant bien de ne pas le tenir pour parricide. Car ce qu’il va démontrer n’est pas l’existence du non-être en tant que contraire de l’être (ce dont parle Parménide) mais l’altérité. L’Autre, en couple avec le Même, est l’un des cinq genres du Sophiste, avec un second couple, le Mouvement et le Repos, mais aussi l’Etre. L’altérité participe de l’être, ce n’est donc pas le non-être dont il est question ici, et l’être participe en retour de l’altérité, c’est donc un être déterminé (chaque être sera autre qu’un autre) qui n’est pas non plus celui du Poème. Par ailleurs (238c) le compatriote de Parménide affirme clairement que le non-être (contraire de l'être) ne saurait être l’objet d’un discours pas même de celui affirmant qu’il ne saurait être l’objet d’un discours. On ne peut dire qu’il est impensable puisqu’en le disant nous le pensons et le pensons un (car ce que nous pensons ou qui relève du nombre participe à l’être). Le non-être n’est donc pas même un mot puisqu’il ne désigne rien.

La citation va à l’encontre de cela puisqu’elle fait du non-être le sujet d’une proposition et lui donne un nombre et même au pluriel, les non-étant. La voie dont il s’agit est la troisième celle des mortels qui mélangent être et non-être, et dont l’usage à la fois endormi et agité de leur sens leur donne à penser plusieurs choses qui sont ou/et qui ne sont pas. La Déesse semble avoir anticipé l’objection platonicienne par la manière dont elle présente le non-être dans le fragment II. « Ouk esti » est comme « esti » une anomalie grammaticale, un verbe conjugué à la troisième personne de l’indicatif, sans sujet et sans complément mais qui contrairement au « esti » ne fera pas l’objet d’un développement propositionnel. D’ailleurs dire que « le non-être n’est pas » c’est retomber sur la voie de l’être (il n’y a pas de non-être) ou ne rien dire.

Il y a donc deux sortes d’innéfable, l'un à l’origine de la pensée ou du discours (« esti ») et l’autre sans descendance (« ouk esti »). Une sorte d’impensable par excès (car penser et être sont identique) et un autre par défaut. En ajoutant l’altérité du Sophiste nous avons alors les trois types de négations proclusiennes. Pour l’exemple un verre ne contenant pas d’eau peut-être vide (privation d’eau), rempli de vin (autre que de l'eau) ou jeté dans la mer (excès d'eau).

La seconde partie de la citation a déjà été commenté (cf. le troième post sur La lecture du proème à la lumière du dzogchen), si le fragment est bien distribué la réfutation concerne donc l’argument de l’impossibilité du non-être (fragment VI).

Suite au prochain post

N.B
Si l’on cite le Sophiste il faut aussi citer le Parménide.
Parménide fait de la Déesse le personnage de son Poème, Platon fait de Parménide (surnommé le père de la philosophie) le personnage principal de son dialogue, pour faire un développement ou un commentaire du Poème mais aussi une œuvre originale. Ensuite le dialogue du Parménide (considéré alors comme le plus important du corpus) sera à son tour commenté par les néoplatoniciens jusqu’à la fermeture de l’Académie soit pendant près de 900 ans.
Peut-être en ferons-nous un parallèle avec le Poème lorsque nous aurons terminé la lecture de celui-ci.