30 septembre 2006

La lecture du proème à la lumière du dzogchen

Et la Déesse m'accueillit avec bienveillance...


Plan du proème ou prologue :
(i) Hors de la voie : Parménide (jeune homme) sur un char tirer par des cavales (domptées) avance aussi loin que puisse parvenir son désir
(ii) Sur la voie (tronçon nocturne) : des jeunes filles (immortelles), enfants du Soleil, viennent à lui et l'amène sur la voie de la Divinité. A l'écart de celle que parcourt les hommes (en raison d’un funeste destin), cette voie est riche en paroles ou en signes. (L'essieu du char en s'embrasant dans les moyeux fait jaillir de l'écrou un son flûté). Celui qui la parcourt a été guidé par le droit et la justice. Il est l'homme qui sait (il n’erre plus).
(iii) Franchissement des portes du jour et de la nuit : au terme de la voie nocturne arrivée au portes du jour et de la nuit. Les jeunes filles persuadent la Justice qui détient les clés de les ouvrir, les portes s’envolent et le char poursuit sa route.
(iv) Sur la voie (tronçon diurne) : [Rien n’est dit]
(v) Rencontre avec la Déesse : la Déesse accueille Parménide en lui prenant la main droite et lui annonce l'objet de son futur discours.
Il portera sur toute chose :
A) "Le coeur (sans frémissement) de la vérité bien persuasive",
B) "L'opinion des mortels où il n'y a pas de convictions vraies" ,
mais aussi :
C) "Comment il faudrait que les apparences fussent réellement, traversant toute chose dans leur totalité"

Laissons de côté pour l'instant le voyage de Parménide pour nous pencher sur la rencontre finale. La Déesse va faire une présentation de l’Etre à Parménide en trois points.

La première partie du discours (A) concerne donc l’Etre qui est non pas l'objet d'un discours vrai mais la vérité elle même. Car nous sommes au delà de la dualité du discours (de sa valeur de vérité ou de fausseté) et de l'objet du discours. La vérité est persuasive simplement parce qu'elle est la vérité. Cette première partie se trouve dans les premiers fragments : fr. 2 – fr 8 (ligne 5o)

La seconde partie du discours (B) concerne les apparences qui sont l'objet de l'opinion des mortels, ce discours n'est pas un discours vrai. Ce n'est pas pour autant un discours faux, car le discours de la déesse sur les apparences est le plus conforme qui soit. Mais la vraisemblance du discours ou sa vérité relative (aux autres discours des mortels) ne peut se mesurer à la vérité absolue du discours (A). Car celle-là s'identifie à l'objet du discours (l'Etre est le coeur de cette vérité). Cette seconde partie se trouve dans les fragments suivant : fr 8 (ligne 50) - fr. 19

La troisième partie (C) porte aussi sur les apparences mais plus à travers l'opinion que peuvent en avoir les mortels. La Déesse va dire ce que sont réellement les apparences. On quitte le domaine du vraisemblable pour celui de la vérité. Que sont donc les apparences ? Soit les fragments de ce discours véritable sur les apparences ne nous sont pas parvenus soit ce discours fait partie de (A) ou/et de (B).

Les apparences n’ont qu’une réalité nominale, elles sont vides :
"Seront donc un nom, toutes les choses que les mortels, convaincues qu'elles étaient vraies, ont supposés, venir au jour, et disparaître, être et ne pas être, et aussi changer de place et varié d'éclatante couleur" Partie (A), fr VIII, 38-41

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N.B. Pour le texte de référence et la traduction francaise nous suivons Denis O'Brien et Jean Frère (dans Etudes Sur Parménide, tome 1, publié sour la direction de Pierre Aubenque, Vrin, 1987)

29 septembre 2006

L'introduction parménidienne

L'introduction parménidienne (ou divine) est une présentation de l'Etre



Pour qu'une introduction puisse se faire par une simple présentation orale il faut donc à la fois (i) une capacité humaine qui consiste à passer d'une connaissance discursive à une expérience et (ii) une caractéristique (entre guillemets) de ce à quoi l'on est introduit qui puisse fonder ce passage : une identité entre ce à quoi l'on est introduit et la connaissance que l'on peut en avoir. Nous avons vu que l'état de dzogchen et la connaissance de cet état sont identiques, qu'en est-t-il chez Parménide ?

"Etre et penser c'est la même chose" (Fragment III).
Pour l’interprétation de cette identité voir les remarques dans le post précédent sur Dzog-chen et Cig-shen. (Nous l’entendons dans un sens plus fort que Plotin - pas au niveau de la seconde mais de la première hypostase. L’identité est absolument simple).

On parle d'introduction dzogchen à double titre parce que l'introduction se passe dans l'enseignement dzogchen et que l'on introduit à l'état de dzogchen. En raison du premier on pourra parler d'une introduction parménidienne, puisque l'enseignement est celui de Parménide, ou divine, puisque l'auteur ne fait que rapporter les paroles d'une Déesse. En raison du second on pourra parler d'une introduction ou d’une présentation de l'Etre.

Parménide nous montre doublement le caractère inspiré de son texte en le présentant sous la forme d'un Poème et en le faisant sortir de la bouche d'une Déesse. Le proème (introduction du Poème) raconte un voyage et à terme la rencontre de Parménide (on peut supposer que c'est de lui dont il s'agit) avec une Déesse.

Il est intéressant de faire un parallèle avec le dzogchen où l'enseignement est souvent transmis par des Dhakinis sorte de Déesses gardiennes et protectrices des enseignements. L’origine est aussi extrahumaine. Chez les bönpo Tonpa Shenrab apporte le dzogchen du paradis de Sipa Yesang et chez les bouddhistes (autres lignées du dzogchen), Garab Dorje le reçoit du Sambogakaya Vajrasattva.

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28 septembre 2006

L'introduction dzogchen (suite)

Ou comment manger les mots et les propositions.



Pour peu (mais ce peu est hors de portée) qu’une personne soit suffisamment douée il lui suffira donc d’entendre parler du dzogchen par un détenteur de cette tradition pour se retrouver ipso facto dans l'état de dzogchen et ce définitivement. Ce qui n'est pas rien puisque cet état est l'état du Bouddha !

Comme les premières notes du chant d'un coucou peuvent parfois nous tirer du sommeil, quelques mots peuvent suffire pour atteindre l'éveil. C'est réellement une possibilité puisque l'histoire du bouddhisme mentionne quelques rares cas. Pour tous les autres l’introduction sera au mieux un simple aperçu de l’état de dzogchen - qu’il faudra par la suite retrouver à l’aide de méthodes appropriées, stabiliser et développer jusqu’à une totale intégration de son existence.

Quelle est cette capacité humaine qui permet une présentation orale et dont nous sommes si dépourvu ? Il ne s'agit pas de la faculté de raisonner, sinon tous les prix Nobel seraient des Bouddhas, mais elle n’est pas sans rapport avec la connaissance. C'est comme une digestion d'ordre intellectuelle. La digestion des aliments permet de les transformer en énergie, cette autre digestion permet de transmuter une pensée en connaissance réelle ou en vécu.

Comment la chose est-elle possible ? Parce que l'état de « Dzog-chen » ou de Grande Perfection est aussi « Cig-chen » ou Connaissance de l'Un (les termes sont synonymes). Il n'y a pas de différence entre l'état de dzogchen et la connaissance de cet état qui est un ou parfait. On parlera alors d'un état auto conscient non pas au sens ou le moteur immobile d'Aristote se connaît lui-même, il n'existe pas trois aspects dans l'état de dzogchen qui sont le sujet connu, la connaissance et l'objet connu, mais au sens d'une simple identité.


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L'introduction dzogchen

Une clé pour la lecture du premier texte de la philosophie occidentale ?

Pas d’initiation dans le dzogchen à la différence du tantrisme ou on recours à un rituel plus ou moins long et compliqué pour effectuer une transmission. L’équivalent consiste dans une simple présentation de l’état de dzogchen, car le terme désigne d’abord un état puis un enseignement (celui-ci portant sur celui-là). Ce que l’on nomme « introduction dzogchen » comporte trois modalités : directe (transmission d’esprit à esprit), symbolique (utilisation d’objets symboliques comme le cristal, le miroir ou la plume de paon) et orale.

On peut se demander si "orale" vaut pour "propositionnelle", il semble que non. Pour que l’introduction dzogchen soit effective il faut la présence et la parole d'une personne ayant une connaissance parfaite de cet état - ce qui présuppose une lignée de transmission ininterrompue jusqu'à une origine. La parole s’adapte aux circonstances de sa profération ce que ne saurait faire un écrit. Pour autant le texte n’est pas sans valeur : comme une trace laissée dans la neige, s'il ne peut nous donner à voir le yéti il nous renseignera sur la forme de son pied, son poids, sa taille, etc. nous facilitant ainsi sa recherche ou sa reconnaissance.

Et si le premier texte de la philosophie occidental était un récit de cette nature ? Les fragments du poème de Parménide témoigneraient d'une présentation de type dzogchen !!!

La seule lecture analytique de ce texte ne nous apporte pas suffisamment, collé à la lettre grecque on peut même penser relever des incohérences que ne ferait pas un étudiant de première année. La question de son vrai sens reste donc posée.

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