24 octobre 2006

Fragment VIII (suite 10)

D'une simplicité confondante


« Il n’est pas non plus divisible, puisque, tout entier, il est semblable <à lui-même>.
Il n’y a pas à un endroit quelque chose de plus, qui l’empêcherait de se tenir uni, ni <à un endroit> quelque chose de moins, au contraire, tout entier il est plein d’être.
Ainsi tout entier est-il continu, car l’être se juxtapose à l’être. » (vv. 22-24)

Au quatrième vers, après « inengendré et impérissables », il est fait mention des signes « unique et entier ». Ce sont donc les caractères qui font l’objet de la démonstration présente. On peut les rapprocher des vers qui suivent immédiatement « tout entier ensemble, un, continu ».

L’être est non seulement homogène mais l’est tellement qu’il en est indivisible. Il n’est pas susceptible de plus ou de moins autrement dit aucune trace de mélange avec un non-être permettant de le fissurer. Comment pourrait-on imaginer un plus d’être sinon par rapport à un moins et vice-versa. Admettre un plus à un endroit serait donc le mélanger avec un non-être ailleurs. Tout ajout est un retranchement. Il ne peut non plus avoir un moins à quelque part sans que ce moins proviennent aussi d’un mélange du même type. L’être ne supporte donc aucune relation, il est absolu au sens strict du terme. Ce n’est donc pas un assemblage de parties aussi parfaites soit-elles car il faudrait un non-être ici où là pour les distinguer. Aucune discontinuité mais une continuité sans faille.
Autrement dit l’être est d’une simplicité confondante.

Pourquoi la Déesse annonce-t-elle « unique et entier » et non « simple et entier » ? Peut-être pour ne pas qu’on l’imagine comme une figure possédant une délimitation entre dedans et dehors. Son unité, ou sa simplicité (son absence de partie), et son unicité, ou sa solitude, c’est strictement la même chose.
Les caractères accolés au « maintenant » concernent aussi à l’évidence cette démonstration : « tout entier ensemble, un, continu ».

Tout cela découle directement de la double décision de la Déesse posant « esti » (« est ») et « ouk esti » (« n'est pas ») puis retirant « ouk esti ». « Esti » reste seul. Tellement qu’il en devient indicible comme le suggère l’anomalie grammaticale.

Il est aussi à noter que parmi les signes ce sont les seuls qui sont dans une formulation positive, à l’inverse des signes secondaires comme inengendré et impérissable, sans frémissement et sans terme. Ceux qui ont permis précédemment de réfuter la naissance et la mort liées aussi bien à une apparition ou une disparition (par le caractère unique du « esti ») qu’à un accroissement et une diminution (par le caractère simple ou entier) sont donc essentiels dans le Poème. (On va sans doute aussi les retrouver dans la suite).

Parménide aurait presque pu nommer son hypothèse l’un, c’est ce que Platon lui fera faire. On voit aussi par là que le « esti » s’identifie bien à la première hypothèse du Parménide de Platon et non à la seconde (qui concerne une totalité comportant des parties). Seules les dénominations changent et encore. Puisque en conclusion Platon rejette son nom comme la Déesse refuse de le nommer en le posant comme une anomalie grammaticale, « esti ».
« Donc à lui n’appartient aucun nom… » (Platon, Parménide 142a)

Suite au prochain post

P.S.
Comme l’être, l’unité et l’unicité sont des caractères universels on les retrouve donc dans le dzogchen (nous reviendrons sur une comparaison en fin d’analyse) mais aussi ailleurs. Par exemple dans le Coran :

« Dis : Lui, Dieu est Un !
Dieu !
L’Impénétrable !
Il n’engendre pas,
Il n’est pas engendré,
Nul n’est égal à Lui. »
(Sourate antépénultième : Le Culte Pur)